Le cinéma francophone comme rempart à l’impérialisme ambiant.
En ce 20 mars, redonnons à la Journée internationale de la Francophonie ses lettres de
noblesse. Surtout depuis que les propos impérialistes du président américain
envahissent l’espace médiatique, pesant sur notre souveraineté telle une épée de
Damoclès. Saisissons cette occasion pour se réapproprier ce qui fait le socle de notre
culture : une Francophonie ouverte, multiple, moderne et forte. Dans cette équation, le
cinéma a un rôle de premier plan à jouer.
Pensons aux plus jeunes d’entre nous pour qui l’adhésion au concept de Francophonie
mondiale perd du terrain. Voilà un espace et une philosophie complexes à définir. En
dehors de son institutionnalisation politique, il est parfois difficile de faire entendre qu’il
s’agit d’un vaste ensemble de cultures, de façons de parler, d’expressions, d’accents,
d’autres langues qui croisent toutes, à un moment donné, le chemin du français, alors
formidable vecteur de liens. En somme : une union entre continents, pays, régions, à
laquelle il fait aujourd’hui plus que jamais sens de se dire appartenir. Une attache
commune dans laquelle le Québec et Montréal, première métropole francophone
d’Amérique, ont une stature unique, exacerbée par l’hégémonie culturelle étasunienne
qu’impose notre géographie.
Le cinéma, lui, forme ce lien immuable. Le cinéma qui, parce qu’il réunit plusieurs arts
et s’adresse à tous, est en mesure de devenir ce miroir, cet outil d’appartenance dont
peuvent se saisir les jeunes spectateurs dont dépend la survie de notre écosystème.
Lorsque Sophie Deraspe, réalisatrice québécoise, décide d’aller tourner Bergers en
France, elle démontre tout le sens qu’il y a derrière un projet de coproduction
transatlantique. Lorsque le français Xavier Legrand fait le chemin inverse, et tourne Le
Successeur à Montréal en offrant à Marc-André Grondin, Yves Jacques, Anne-
Élisabeth Bossé des premiers rôles, il démontre qu’impliquer le Québec est un geste
naturel et porteur. Les résultats ne se font pas attendre : en 2024, ces deux films ont
dépassé le cap du million de dollars au box-office québécois. Il faut aussi se réjouir de
voir Antoine Bertrand, Monia Chokri, Evelyne Brochu, Charlotte Le Bon, Ken Scott,
Anne Dorval ou Vassili Schneider faire carrière en français, dans des productions
majeures, à l’extérieur de nos frontières. Les voir multiplier les allers-retours des deux
côtés de l’Atlantique, et ainsi appartenir pleinement à la Francophonie, c’est avant tout
bon pour le Québec et la protection de sa souveraineté culturelle. L’un ne va pas sans
l’autre. Ces artistes ont une influence déterminante en la matière : leurs projets
internationaux doivent aujourd’hui encore plus qu’hier faire l’objet de rayonnement,
d’accompagnement.
Rappelons que la participation de coproducteurs québécois fut déterminante dans la vie
de longs-métrages comme Quitter la nuit (produit avec la Belgique) ou La nuit des rois
(Côte d’Ivoire/Sénégal). L’Afrique se fait aussi une place sur nos écrans. En témoignent
ces titres à venir en 2025, coproduits avec le Québec : L’héritier des secrets (Maroc)
puis Fanon (biographie du psychiatre anticolonialiste en Algérie). Ce n’est pas un
hasard si Montréal a accueilli trois fois en huit ans, sous l’impulsion de la Sodec, les
Rencontres de coproduction francophone, un rendez-vous annuel réunissant 250
producteurs du monde entier.
Et le public dans tout cela ? Il continue certes à privilégier les contenus anglophones : la
part de marché des films en provenance des États-Unis au Québec était de 78,6 % en
2024. C’est énorme, mais les parts des films québécois ou français affichent aussi des
augmentations encourageantes. Pour ce qui est du « déclin du cinéma Français au
Québec », il n’a pas vraiment lieu. J’en veux pour preuve les recettes aux guichets du
Comte de Monte Cristo ou Monsieur Aznavour, tous deux ayant dépassé le million de
dollars, sans oublier Un p’tit truc en plus, ou – dans un registre plus indépendant –
L’amour ouf, En Fanfare et L’Histoire de Souleymane, trois œuvres qui rencontrent
d’excellents résultats. En 2024, 54% des 124 films de langue française présentés en
salle au Québec avaient au moins la France comme pays producteur : si l’offre continue
à être aussi étoffée, c’est parce que la demande existe. Et les prochaines sorties
promettent de nouveaux succès, notamment Kaamelott: Deuxième Volet, De Gaulle ou
Dans la peau de Cyrano.
Face à l’hostilité de nos voisins dirigeants du sud, même si elle agit sur le terrain du
symbolique, des phrases acerbes et des attaques morales, la Francophonie
cinématographique, plus qu’un refuge, s’impose comme une chance. Les solutions sont
simples. Si l’introduction d’une taxe sur le prix du billet des films hollywoodiens qui
alimenterait un fonds de production dédié à la création québécoise, selon certains
modèles européens, semble ardue à mettre en place, gagner sur le terrain des valeurs
est à portée de main. C’est même facile, quand tous les signaux sont au vert. Il faut, ici,
une plus grande visibilité accordée aux films québécois, français, belges, suisses,
luxembourgeois, issus du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne. Il reste à découvrir
tellement de créations trop peu vues de ce côté de l’Atlantique. Et il y a encore
beaucoup à faire avec nos confrères et consœurs francophones à travers le monde.
Dans la mouvance actuelle, l’ouverture internationale de notre industrie, de celles et
ceux qui en font la diffusion, dans les cinémas, les écoles, les festivals, est cruciale.
Abdou Diouf, ancien Président sénégalais et ex-Secrétaire général de l’OIF, à propos
de cette Francophonie, avait la formule juste : « croire que les mots peuvent rapprocher
les cœurs et apaiser les tensions. » Nous y sommes. En plein. La balle est dans notre
camp.
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Guilhem Caillard est Directeur général et artistique du Festival de films CINEMANIA pour La Presse