Published on 30/08/2023
Dans LE SOLEIL ET SES TRACES (1990), second court-métrage que Louis Bélanger, âgé de 25 ans, co-réalise avec Denis Chouinard, une scène montre les trois personnages principaux – interprétés par Kim Van Albherne, André Robitaille et Gaétan Côté – faire du « ski bottine » en s’accrochant au pare-chocs arrière d’une camionnette dans une ruelle enneigée. Vingt-neuf ans plus tard, dans VIVRE À 100 MILLES À L’HEURE (2019), le cinéaste reproduit la même scène cette fois avec une ribambelle de jeunes comédiens. Entre le Louis Bélanger des débuts et celui d’aujourd’hui, ce genre de motifs est récurrent, comme autant de clins d’œil a priori anecdotiques, mais qui en disent long sur son cinéma.
L’homme affectionne les projets à saveur autobiographique. Du quartier Beauport, foyer de sa jeunesse turbulente dans la Ville de Québec, à la métropole montréalaise de ses années universitaires, l’artiste évoque film après film ses souvenirs et raconte en filigrane la société québécoise des années 70 et 80 comme il l’a connu, alors en pleine transformation. Que ce soit dans GAZ BAR BLUES (2003), son premier grand succès populaire et haut perché dans le top 10 des films préférés des Québécois, comme avec son road-movie initiatique ROUTE 132 (2010) : ses fictions parlent avant tout du Québec, de sa culture, sa politique. Le cinéaste aime mettre en scène les laissés pour compte de la société, ou des “vestiges du passé” qui assistent à la fin d’une époque face aux transformations économiques, à l’éclatement de la cellule familiale ou encore les incertitudes portées par une jeunesse désorientée. De son propre aveu, se retrouve chez Louis Bélanger un mélange de Ken Loach et des comédies italiennes sociales à la façon d’Ettore Scola. Celui qui au départ pensait ne pas avoir les épaules d’un dramaturge s’est découvert un don. Grand défenseur de la cinéphilie, il a pendant des années usé les sièges de la Cinémathèque québécoise, passionné par le cinéma des pays de l’Europe de l’Est.
Louis Bélanger est aussi amateur de littérature. Avide lecteur du canadien Trevor Ferguson, il s’investit corps et âme dans un projet semé d'embûches : l’adaptation en anglais du roman THE TIMEKEEPER (2009). En résulte un film solide, mais sous-estimé, une sorte de western québécois embrassant les grands espaces naturels qui tranche avec les univers urbains des films précédents du cinéaste. La forêt finit d’ailleurs par occuper une place de cœur dans l’œuvre de Bélanger, qui n’hésite pas lui-même à s’y réfugier aussi souvent que possible.
C’est effectivement loin des villes qu’il campe l’action de son autre succès populaire majeur : LES MAUVAISES HERBES (2016), remportant haut la main le test de la comédie. Au Festival du film francophone d’Angoulême, en France, le film repart avec le Valois du public et celui du scénario. Depuis POST MORTEM (1999), son premier long-métrage et beau succès critique, Bélanger est un grand habitué des festivals internationaux. L’homme voyage beaucoup à travers toute la francophonie, et au-delà, il est un ambassadeur du cinéma québécois à l’étranger.
Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, l’équipe de CINEMANIA a tenu à rendre hommage à Louis Bélanger. À cette occasion et pour la première fois, la Cinémathèque québécoise nous offre l’occasion de revoir sa filmographie dans sa quasi-totalité, incluant ses documentaires LOUIS MARTIN, JOURNALISTE (2011), sur le père de son ami Alexis Martin, et LAUZON LAUZONE (2000), à propos du grand Jean-Claude Lauzon. De ses premiers pas avec « Les Houblonneurs Unis », son propre regroupement de création vidéographique actif jusqu’en 1992, à ses années fructueuses à la Coop Vidéo de Montréal, les spectateurs sont invités à (re)découvrir trente années d’une carrière encore bien en cours.
Et pour approfondir le sujet, CINEMANIA en profite pour offrir aux spectateurs un documentaire « fait maison », diffusé sur la plateforme en ligne du festival. Dans ce film inédit, Kalina Bertin est allée à la rencontre de Louis et de ses proches collaborateurs comme le directeur de la photographie Pierre Mignot, le réalisateur et universitaire Denis Chouinard, et son propre frère, l’harmoniciste Guy Bélanger qui a signé la bande originale de six films du cinéaste. En plein cœur de cette 26e édition, une classe de maître diffusée gratuitement et à grande échelle sera l’occasion d’en apprendre davantage sur les méthodes de travail de Bélanger qui recevra pour sa part la distinction de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française remise par le Consul général Frédéric Sanchez.
Tout un programme, qui constitue à lui seul un festival.
Guilhem Caillard
Directeur général du Festival CINEMANIA.
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